Les précipitations en Méditerranée
Dans le cadre des études en Méditerranée qui relèvent
tant de la circulation marine que des évolutions du climat et de
l'environnement, il est nécessaire de connaître les précipitations,
en valeur absolue à l'échelle d'un bassin, et d'évaluer
leurs évolutions au cours du temps, notamment depuis les années
40.
La valeur absolue des précipitations est
l'un des termes du bilan en eau à travers la surface qui concerne
l'évaporation, les précipitations et les apports des fleuves;
il permet de vérifier les mesures - ou de contraindre les calculs
- de flux à travers les détroits de Gibraltar et de Sicile,
ce qui n'est pas un luxe, compte tenu de la diffficulté et du coût
de mesures de longues durées à travers ces détroits.
Pour tenter de résumer le problème de la connaissance
de précipitations en Méditerranée un extrait de thèse
( Béthoux ,1977) est reporté ci-après:
"Sverdrup (1946) a estimé le terme précipitation en Méditerranée
à 400 mm par an et Carter (1956) à 412 mm. Wust (1959) et
Moller (1951) ont proposé 380mm. Tixeront (1970) propose 350mm et
indique que cette valeur, bien qu'inférieure aux précédentes
estimations peut encore être supérieure à la réalité
car la pluie au large semble être nettement plus faible qu'au rivage.
Nous avons étudié les relevés météorologiques
effectués entre 1964 et 1968 à BORHA 1 (Bouée Océanographique
de Recherche Habitée) (Houdart et Ratto, 1974, monographie 94 étéorologie
nationale), ancrée à environ 100 km au sud-ouest de Nice
et 85 km de la côte la plus proche, le Cap Camarat. On a constaté
que, tout au long de l'année, la nébulosité et le
nombre de jours de pluie sont sensiblement les mêmes qu'à
Nice (bulletin de la commission météorologique des Alpes
Maritimes). Les hauteurs d'eau recueillie sont par contre très différentes
: entre avril 1964 et février 1965, 391 mm à BORHA 1, 769
mm à Nice ; durant l'année 1967, 201 mm à BORHA 1,
412 mm à Nice. La moyenne de 70 années d'observations faites
à Nice donne environ 800 mm de pluie par an. On constate donc qu'aussi
bien pendant une année à pluviosité normale que durant
une année très sèche les précipitations en
mer sont réduites de moitié par rapport à celles de
la côte. Bunker et Cornell (1971, WHOI, 71-61)
ont étudié la précipitation à la deuxième
position de BORHA (ancrée à environ 110 km au sud de la Ciotat).
Lui aussi a remarqué qu'en janvier, février et mars 1969
la pluie à BORHA représentait 48% de la moyenne observée
en 7 stations côtières de la moitié nord du bassin
occidental (Perpignan, Marseille, Ajaccio, Cagliari, Palma, Mahon, Barcelone).
Il a ainsi conclu pour cette région marine une valeur annuelle des
précipitations de 272 mm ."
Elliott and Reed (1973, J. Geophys. Res.,
78, 941-948) ont fait une constatation équivalente, au large de
la côte US du Pacifique, à savoir des précipitations
réduites de moitié en mer, au large. Enfin, une étude
des précipitations dans la région niçoise (Aimé
et Sarrailh, Bulletin de la commission météorologique des
Alpes Maritimes, 1971) montre inversement une augmentation des précipitations
avec l'altitude, à proximité de la côte (entre 10 à
20 km).
La question de l'estimation des précipitations en mer à
partir de l'utilisation des données côtières et des
iles, avec un coefficient de réduction important reste totalement
ouverte. Il en est de même de l'utilisation de mesures recueillies
à bord de navires ou encore à l'aide de radar méréorologiques.
La synthèse de données météorologiques
montre une évolution des précipitations à Monaco depuis
le début du siècle (Centre Scientifique de Monaco, 1988),
à savoir une décroissance de l'ordre de 0.3% par an. La moyenne
des stations françaises (Ajaccio, Nice, Toulon, Marignane
et Perpignan) entre 1930 et 1990 donne également une diminution
de l'ordre de 7% sur les trente dernières années. Bradley
et al. (1987, Science, 237, 171-175) présentent également
une décroissance des précipitations sur l'Afrique du Nord
et le Moyen Orient. Des observations équivalentes ont été
faites en Sardaigne et en Grèce. Il manque cependant une synthèse
sur l'ensemble des données disponibles en Méditerranée
pour pouvoir assurer la globalité de ce phénomène
et le quantifier.
Les évolutions du bilan en eau à travers
la surface et notamment celles des précipitations sont importantes
à connaître pour tirer parti des évolutions des données
marines, à savoir l'augmentation de la température et de
la salinité des eaux profondes du bassin Algéro-provençal
mesurée depuis 1960. Compte tenu de la formation des eaux profondes
en Méditerranée, ces évolutions sont le signe de changements
des bilans en eau et en chaleur à travers la surface marine, changements
continus depuis au moins 50 ans. Via un modèle en boite simulant
les caractères généraux de la circulation en Méditerranée
(Bethoux et Gentili, 1996, J. Marine Systems, 7, 383-394), pour reproduire
les variations température et salinité dans l'eau profonde,
il faut envisager une modification du bilan thermique de 1,5 W m-2 depuis
les années 1940, ainsi qu'une augmentation du déficit en
eau de 10 cm. L'effet thermique peut correspondre à l'augmentation
de l'effet de serre, tandis que l'augmentation du déficit
en eau peut s'expliquer par les activités anthropiques et leurs
effets sur le débit des fleuves (par exemple le Nil et l'Ebre),
par un surcroît d'évaporation, rétroaction de l'effet
de serre et de l'augmentation de température de surface, et par
une diminution des précipitations estimée à 11%, soit
3,4 cm entre 1940 et 1995 (Bethoux et Gentili, 1997, sous-presse
dans Journal of Marine Systems).
Evidemment, toute amélioration ou confirmation
tant de la valeur absolue des précipitations en mer par rapport
aux stations côtières que de leur évolution sur le
pourtour et les iles de la Méditerranée permettrait des progrès
dans la quantification des processus de surface et la détermination
tant de l'augmentation de l'effet de serre que de l'évolution du
bilan d'eau douce, points clés de la socio-économie dans
la région méditerranéenne.
| J.P.Béthoux LPCM, BP 8, F06238 Villefranche Sur Mer, France |
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