Un système d'altimétrie satellitale se compose essentiellement d'un radar altimètre et d'un sous-système précis de trajectographie embarqués sur un satellite défilant, capables de fournir en continu à la verticale du satellite le niveau de la mer avec une précision sub-décimétrique. Ainsi dispose-
t-on d'un outil particulièrement performant pour observer de manière globale, homogène et systématique la circulation océanique. Les premières missions altimétriques (GEOS-3 en 1975, SEASAT en 1978 puis GEOSAT en 1985 et ERS-1 en 1991) ont montré le potentiel de tels systèmes pour mieux connaître les océans. Deux systèmes d'altimétrie embarqués sur satellite sont actuelle-ment en fonctionnement, ERS-2 et TOPEX/POSEIDON et observent en continue le relief de la surface océanique donnant des indications précieuses sur la circulation et la variabilité associée ainsi que sur les états de mer.
La mission TOPEX/POSEIDON (T/P), développée conjointement par le CNES et la NASA, est opérationnelle depuis août 1992. Cette mission a été optimisée pour observer la variabilité océanique à grande échelle. La très grande précision des mesures T/P autorise la détection des variations du niveau de la mer de l'ordre du centimètre à l'échelle d'un bassin océanique. Les résultats obtenus permettent ainsi de mieux caractériser les divers modes de la variabilité océanique : signal méso-échelle, saisonnier, intra-saisonnier, annuel, inter-annuel. Ces informations une fois intégrées dans des modèles numériques permettent de restituer la circulation tridimensionnelle des océans et de prévoir son évolution. L'altimétrie donne également accès à des informations sur l'élévation moyenne du niveau des mers, les marées, le géoïde marin, l'état de la mer.
Après un bref rappel sur les notions de base qui régissent la circulation océanique, sont présentés le principe du radar altimètre, la géométrie de la mesure, les différentes composantes du système, les performances associées. On montre alors comment passer de l'information de disance brute fournie par un système altimétrique embarqué sur satellite aux paramètres océaniques caractéristiques que sont la topographie dynamique, la vitesse des courants, le transport de masse, autant de paramètres clés dans les échanges énergétiques avec l'atmosphère.
A partir de résultats altimétriques marquants, le comportement fortement variable à l'échelle locale et globale de la circulation océanique sera mis en évidence. L'altimètre observe aussi bien le cycle saisonnier de réchauffement puis de refroidissement des masses océaniques, que les variations d'intensité des grands courants océaniques, ou les phénomènes interannuels de type El Niño/La Niña, en particulier le dernier événement majeur 1997-2000. A ce titre, l'altimétrie de haute précision est considérée aujourd'hui comme un élément essentiel des futurs systèmes d'observation des océans, dont la mise en place est indispensable à l'océanographie opérationnelle de demain.
La mer, qui recouvre plus de 70 % de la Planète Terre, a un rôle prépondérant dans l'évolution de l'environnement global et régional. En effet, les océans emmagasinent, véhiculent et échangent avec l'atmosphère des quantités d'énergie considérables (Minster, 1994). Il est donc vital de les observer, de comprendre les mécanismes qui interviennent pour mieux connaître leur impact sur l'environnement, le climat, l'écosystème marin et terrestre, et, par voie de conséquence, sur notre vie de tous les jours.
Il a toujours été délicat d'acquérir des mesures en milieu marin du fait de son immensité et de son hostilité, en particulier dans les régions difficiles d'accès. Les premières cartes marines n'ont d'ailleurs concerné que les zones régulièrement parcourues par les navires marchands. Ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle que les premières campagnes océanographiques dédiées ont eu lieu et que des mesures quantitatives ont été réalisées grâce à l'apparition d'instruments appropriés. Toutefois, c'est le lancement des satellites dans les années 1970, en particulier ceux de la série NIMBUS équipés de radiomètres puis les satellites américains GEOS-3 et SEASAT équipés de radars altimètre, qui a ouvert la voie à une observation globale, systématique et homogène des océans. Cette vision planétaire a mis en relief les énormes transferts de masses d'eau et de chaleur générés par la circulation océanique (figure 1.1).
Figure 1.1Deux "moteurs" essentiels activent la circulation océanique : il y a tout d'abord le rayonnement solaire et les effets de conduction et d'évaporation induits qui varient avec la latitude. Les énergies accumulées sont énormes puisqu'elles atteignent plus de 3. 1015 watts à 30° de latitude. Ce flux de chaleur a bien sûr une forte composante saisonnière, qui affecte le niveau de la mer (par dilatation et contraction) et occasionne une circulation verticale et profonde appelée circulation thermohaline (circulation très lente sur des échelles de temps pouvant atteindre plusieurs siècles). Le vent est une autre source d'énergie, mécanique, qui entraîne les masses d'eau de manière plus superficielle, à une échelle globale et sur des périodes de quelques jours à quelques années (courants de nord-ouest, boucles de recirculation, courant circumpolaire antarctique, ...). Hors équateur, ces courants sont, en première approximation, en équilibre géostrophique avec l'effet d'entraînement des masses d'eau sous l'action de la rotation terrestre (effet dit de Coriolis, voir paragraphe 3.1). Ils ont pour conséquence de véhiculer vers les plus hautes latitudes et d'échanger avec l'atmosphère la chaleur accumulée aux latitudes équatoriales. Le courant du Gulf-Stream qui longe les côtes américaines et traverse tout l'Atlantique Nord joue ainsi un rôle modérateur essentiel sur le climat européen.
Figure 1.2Il y a bien d'autres effets qui viennent perturber la circulation océanique, soit directement (par exemple le frottement le long des côtes ou sur le relief sous-marin), soit indirectement au travers des modifications de propriétés du milieu (par exemple l'apport d'eau douce par la pluie, les fleuves, la neige, la fonte des glaces). Autre exemple, l'augmentation des rejets de gaz naturels et industriels affectent la teneur de l'atmosphère en gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane, CFC, ozone, ...) ce qui a pour conséquence d'élever la température atmosphérique (d'environ 1°C depuis le début du XXème siècle) et donc de provoquer une élévation sensible du niveau des mers (par dilatation et fonte des glaces) comme cela a été observé à partir des mesures marégraphiques et plus récemment par altimétrie (figure 1.2). Une des questions que se posent les scientifiques est de savoir dans quelle mesure les océans sont capables d'absorber le surplus de CO~ et donc de ralentir le réchauffement global. Les marées, qui sont dues à l'effet d'attraction de la lune et du soleil sur les masses océaniques, sont un autre exemple de modification du milieu marin bien connue. Elles entraînent des variations rapides du niveau des mers de plusieurs dizaines de centimètres, parfois plusieurs mètres, et ont des répercussions importantes en particulier sur l'environnement côtier.
En dehors des marées qui sont parmi les phénomènes les plus spectaculaires et les plus visibles sur le niveau de la mer, il existe bien d'autres facteurs qui influent sur le niveau de la mer. Le transport des masses d'eau océanique (la circulation océanique) entraîne une déformation de la surface de la mer proportionnelle à la vitesse de déplacement, tout comme dans l'atmosphère la vitesse et la direction du vent dépendent du champ de pression. Les effets directs du vent sur la surface de la mer, le stockage thermique de la chaleur dans les couches de l'océan sont autant de phénomènes qui provoquent eux aussi des variations de hauteur du niveau de la mer de plusieurs centimètres. On voit donc ici tout l'intérêt qu'il y a à observer/mesurer de manière globale le niveau de la mer. Les marégraphes étaient, il y a encore une trentaine d'années les seuls instruments capables de faire des relevés continus et précis du niveau de la mer. Mais ces mesures, bien qu'opérationnelles depuis un peu plus de cent ans pour certains sites et d'un intérêt majeur en océanographie, restent très locales, car limitées à quelques sites côtiers et à quelques îles. L'avènement de la technique du radar altimètre embarqué sur satellite a marqué un véritable tournant dans l'étude physique des océans. Les missions d'altimétrie par satellite ont très rapidement fait la preuve de leur efficacité avec, en 1975, la première mission GEOS-3, puis en 1978, la mission SEASAT, suivie en 1985 par la mission GEOSAT et en 1991 par ERS1, puis par TOPEX/POSEIDON (T/P) en 1992 et par ERS-2 en 1994 (Geosat Follow-On lancé en 1997 a rencontré des problèmes techniques qui compromettent son exploitation). Les océanographes disposent ainsi d'outils capables de mesurer sur toute la surface du globe, en continu et avec une précision de quelques centimètres les moindres variations du niveau de la mer.
Figure 2.1Un radar altimètre mesure la distance entre le satellite et la surface des océans.
Ce radar émet à la verticale du satellite de très courtes impulsions (3 ns) à une fréquence très élevée (plus de
1 000 impulsions émises par seconde). Les signaux sont réfléchis par la surface océanique qui agit comme un réflecteur. Les échos retours sont réceptionnés à bord du satellite et sont analysés pour en déduire très précisément (à 2-3 cm près), d'après le temps de trajet aller-retour, la distance entre le satellite et le niveau de la mer. Deux autres paramètres sont également estimés, la hauteur des vagues et la vitesse du vent, d'après respectivement la forme et la puissance de l'écho retour (figure 2.1).
La position du satellite par rapport au centre de la Terre ou à un ellipsoïde de référence (le référentiel terrestre) est connue très précisément grâce à des systèmes de poursuite du satellite très performants. C'est ainsi que le système français DORIS embarqué sur T/P s'appuie sur un réseau de 50 balises au sol qui suivent en permanence le satellite. Les mesures obtenues sont intégrées dans un modèle complexe de calcul d'orbite qui restitue la distance entre le satellite et l'ellipsoïde de référence avec une précision de quelques 3-4 centimètres. En complément, les systèmes de positionnement GPS et laser sont également utilisés.
En différenciant la distance satellite-océan mesurée par le radar altimètre, et la distance satellite-ellipsoïde fournie par le calcul d'orbite, on en déduit la hauteur du niveau de la mer par rapport à l'ellipsoïde, autrement dit la topographie de la surface des mers (figure 2.2).
Cette mesure doit être corrigée de plusieurs effets parasites (Fu et al., 1994) :
- le ralentissement de l'onde radar au moment de la traversée de l'atmosphère, provoqué par la pression de l'air et la vapeur d'eau présentes dans la troposphère et par les électrons dans la couche ionosphérique ;
- l'interaction entre l'onde radar et la surface de l'océan induit un effet géométrique différentiel entre les creux et les crêtes des vagues (les creux renvoient plus d'énergie que les crêtes) ;
- les signaux géophysiques qui doivent être éliminés pour accéder à la circulation océanique : marée terrestre, marée océanique et effet de charge, baromètre inverse (effet de la pression atmosphérique sur le niveau de la mer), effet du champ de potentiel terrestre sur le niveau de la mer (i.e. le géoïde marin).
Ces différentes corrections sont réalisées, soit à partir de mesures directes des effets en question (mesures radiométriques pour le contenu en vapeur d'eau dans la troposphère ou mesures du radar altimètre bi-fréquence pour la densité d'électrons dans la couche ionosphérique), soit à partir de modèles performants appropriés. L'objectif ultime est de réduire au maximum les erreurs résiduelles engendrées par ces différentes corrections afin d'arriver à un bilan d'erreur sub-décimétrique sur la mesure instantanée du niveau de la mer.
La mission altimétrique T/P, développée conjointement par le CNES et la NASA, a été optimisée pour observer les signaux océaniques à grande échelle, même ceux de très faible intensité. C'est pourquoi son bilan d'erreur a été réduit de manière drastique par rapport aux missions précédentes (figure 2.3). La précision estimée sur une mesure du niveau de la mer, réalisée toutes les secondes (soit tous les 6 km) sous la trace du satellite T/P est de 4.5 centimètres, grâce en particulier à l'apport prépondérant du système DORIS dans le calcul d'orbite. Un bilan d'erreur aussi faible permet, après interpolation spatio-temporelle des mesures altimétriques, de déceler et de mesurer des variations du niveau de la mer de l'ordre du centimètre à l'échelle d'un bassin océanique.
Pour observer précisément les déformations de la topographie de la mer générées par les mouvements des masses d'eau océanique (la topographie dynamique) il faut en théorie référencer le niveau de la mer mesuré par altimétrie au géoïde. En effet, les creux et bosses de la mer créés par le champ de potentiel terrestre (le géoïde) ont des amplitudes de l'ordre du mètre à quelques mètres, qui masquent le signal océanique dont l'amplitude est beaucoup plus faible (de l'ordre du centimètre à quelques centimètres) (figure 2.4).
Le géoïde marin, équipotentielle du champ de potentiel terrestre, coïnciderait exactement avec la surface des océans si ceux-ci étaient au repos (pour une même altitude, les forces d'attraction sont différentes d'un point à l'autre du globe du fait du relief sous-marin et de la répartition inhomogène des masses dans la croûte terrestre). Les meilleurs géoïdes globaux actuels ont une précision de l'ordre de 10 à 20 cm pour des échelles spatiales de 500 à 1000 km. Une telle incertitude rend inadaptée leur utilisation conjointe avec l'altimétrie pour restituer la circulation océanique absolue, excepté dans quelques régions mieux connues qui ont fait l'objet de campagnes gravimétriques très denses. Dans un avenir proche, le lancement de satellites dédiés à l'observation du potentiel terrestre (CHAMP en juillet 2000, GRACE en 2001, GOOS en 2003) permettront de calculer des géoïdes globaux beaucoup plus précis.
A défaut de disposer d'un géoïde de bonne qualité pour extraire la totalité du signal dynamique océanique, on peut utiliser le niveau moyen des mers comme niveau de référence des mesures altimétriques. Le niveau moyen des mers intègre à la fois les effets statiques du géoïde et ceux de la circulation océanique permanente (tout au moins sur la période d'intégration considérée). Par cette technique on ne peut donc accéder qu'à la composante variable du signal océanique, ce qui ouvre tout de même un champ d'investigation très large puisque cette composante, la plus méconnue jusqu'à l'avènement des satellites d'observation, a un rôle prépondérant dans les interactions avec l'atmosphère.
Pour faciliter la détermination du niveau moyen des mers, les satellites altimétriques sont généralement placés sur une orbite dite répétitive, qui les oblige à repasser exactement sur les mêmes points à intervalles de temps régulier. L'orbite répétitive impose au satellite de survoler les mêmes traces au sol tous les X jours. A partir de n passages répétitifs accumulés le long des mêmes traces (n étant suffisamment grand pour, si possible, couvrir au moins une année entière), on peut faire la moyenne de l'ensemble des passages répétitifs et utiliser le profil moyen obtenu comme surface de référence des profils altimétriques. On obtient ainsi le signal variable de la topographie dynamique (figure 2.5).
C'est en jouant sur les paramètres d'orbite (altitude et inclinaison du satellite) que l'on modifie la période de répétitivité. Plus l'intervalle de temps entre deux passages répétitifs sera grand, plus le nombre de traces du satellite parcourant le globe pour un même cycle, sera important. Il y a donc un compromis à faire entre échantillonnage temporel et échantillonnage spatial. Ce choix sera fait en fonction des objectifs privilégiés de la mission. Par exemple le satellite ERS2, qui se trouve à une altitude de 830 km et est incliné à 98°, a une période de répétitivité de 35 jours correspondant à un maillage au sol (inter-trace) d'environ 80 km à l'équateur. Ce satellite a plutôt vocation à observer les signaux à moyenne échelle (100-500 km d'échelles spatiales et 30-100 jours de période). Le satellite T/P, optimisé pour observer les signaux grande échelle (> 500 km, > 20 jours), a été placé sur une orbite répétitive à 10 jours (1 330 km d'altitude et inclinaison de 66°) offrant un échantillonnage spatial de 280 km à l'équateur. La combinaison des deux jeux de données ERS2 et T/P est souvent mise à profit par les océanographes pour accéder à une partie plus étendue du spectre de la variabilité océanique.
3.1. - L'équilibre géostrophique
Les équations générales hydrodynamiques de Navier-Stokes s'appliquent aux masses d'eau océaniques en mouvement. Ces équations s'écrivent :
(1.1) 
(1.2) 
En d'autres termes :
Accélération + Coriolis = Pression + Viscosité + Forces externes
L'équilibre hydrostatique (équation en w déjà simplifiée) donne :
(1.3)
L'équation de continuité (incompressibilité) implique :
= densité,
= viscosité (105 cm2 <
< 108 cm2/s), p = pression
u, v, w = vitesses zonale, méridionale et verticale
f = paramètre de Coriolis =
= latitude) dû à la rotation terrestre
= vitesse de rotation de la terre
(0.729 10-4 rad/s), g = gravité
Les mouvements océaniques étant généralement considérés lents et à basse fréquence (périodes supérieures à 10 jours, échelles spatiales L supérieures à 100 km, vitesses U de l'ordre de 10 cm/s), on peut montrer, d'après les ordres de grandeur respectifs des différents termes, que les équations de Navier-Stokes se réduisent à un équilibre entre les forces de pression et la force de Coriolis (due à la rotation terrestre) (figure 3.1).
En effet, à un instant donné, le mouvement peut-être supposé quasi-permanent, i.e. sans accélération, et les forces de viscosité peuvent être considérées comme négligeables (il en va de même pour les forces externes qui peuvent elles-aussi être négligées à un instant donné). Cet équilibre est appelé équilibre géostrophique et s'écrit:
C'est une équation diagnostique entre le champ de pression et le champ de vitesse (en météorologie, on considère le même type de relation, dite aussi géostrophique, entre le champ de pression atmosphérique et le vent).
En surface, la pression p est donnée par la relation :
où
est la topographie dynamique de surface mesurée par altimétrie :
La mesure par altimétrie de la topographie dynamique
permet d'accéder à pente de la surface
et/ou
donc à la vitesse u et v des courants océaniques.
Dans la région du Gulf-Stream, la pente transverse du courant est d'environ 1 mètre sur 100 kilomètres (figure 2.5) ce qui correspond à une vitesse moyenne de 1 m/s telle qu'elle peut être estimée à partir des profils altimétriques (figure 3.2).
A l'équateur toutefois, le paramètre de Coriolis f devient nul et la géostrophie ne s'applique plus (la géostrophie peut être utilisée jusqu'à une distance d'environ 1° de l'équateur). Il faut alors faire appel à d'autres types de modèles. Par exemple, en dérivant par rapport à y, il est possible d'écrire que la vitesse zonale u est proportionnelle à la dérivée seconde de
:
où
(
est la vitesse de rotation de la Terre et R est son rayon).
Cette relation est valable uniquement pour les mouvements lents, basse-fréquence (
)
Ces modèles sont parmi les plus simples utilisés pour décrire la circulation océanique. Des modèles beaucoup plus sophistiqués prenant en compte les forçages, assimilant les nombreuses mesures disponibles dont les mesures altimétriques, et s'appuyant sur une physique plus élaborée sont aujourd'hui couramment utilisés et améliorés sans cesse afin de se rapprocher toujours un peu plus de la réalité.
3.2. - Le transport intégré
Le transport des grands courants océaniques, intégré sur toute la colonne d'eau, est une quantité particulièrement significative pour évaluer les transferts d'énergie transitant entre l'océan et l'atmosphère. A partir des profils de topographie et des profils dérivés de vitesse, on peut accéder au transport T (débit) des courants océaniques en utilisant la relation suivante :
où V(y, z) est la vitesse perpendiculaire à l'aire définie par dydz, fonction de la vitesse V0(y) en surface et de l'amortissement du courant avec la profondeur.
Connaissant la vitesse V0(y) en surface (donnée par l'altimétrie) et le profil de vitesse suivant la profondeur (modélisé à partir de mesures in-situ de température et de salinité et de mesures directes de courant), on peut donc estimer le transport associé. On constate qu'un courant comme le Gulf Stream (vitesse moyenne de l'ordre de 1m/s) dont la section horizontale est de 100 km environ a un débit de l'ordre de 100 Sverdrup (100 millions de m3/s), équivalent à celui engendré par le courant périantarctique beaucoup plus lent (vitesse moyenne de 10 cm/s) mais qui s'étend sur 1500 km environ.
Figure 3.3 - Spirale d'Ekman
3.3. - Le vent, un des moteurs de la circulation
Le vent agit directement sur la couche superficielle de l'océan. Cette couche a une épaisseur d'environ 100 mètres (couche d'Ekman). Les courants induits par le vent dans l'hémisphère Nord (Sud) ont une vitesse en surface à 45° à droite (gauche) de la direction du vent. En profondeur, la vitesse décroît et décrit une spirale dite spirale d'Ekman (Ekman, 1905) (figure 3.3). Le transport intégré sur la couche d'Ekman est à 90° à droite (dans l'hémisphère Nord) de l'axe du vent. A l'équateur, le transport des masses d'eau sous l'effet du vent se fait généralement suivant la direction des alizés, d'Est en ouest.
L'action directe du vent sur l'océan est donc limitée à une couche superficielle. La réponse de l'océan "intérieur" au forcing du vent est indirecte et la dynamique associée est bien plus subtile, provoquant des mouvements cohérents sur plusieurs milliers de kilomètres. La convergence ou divergence des transports d'Ekman induisent en effet des petites vitesses verticales qui mettent ensuite en mouvement la circulation intérieure (en équilibre géostrophique). A ces effets, viennent se rajouter des effets dynamiques plus faibles induits par la pression atmosphérique (différents de la réponse purement statique dite du "baromètre inverse").
La sphéricité de la Terre (effet dit
avec
= df/dy, f = paramètre de Coriolis) doit être prise en compte pour calculer plus précisément la réponse de l'océan intérieur. Elle explique en particulier l'existence de courants intenses le long des bords Ouest des bassins océaniques comme par exemple le Gulf-Stream.
C'est l'océanographe Norvégien Sverdrup qui, en 1947, proposa la première théorie de la réponse de l'océan intérieur à l'action du vent.
H. Stommel, en 1948, donna ensuite la première théorie exacte de l'existence du Gulf-Stream.
4.1. - L'Océan, un milieu très turbulent !
La circulation océanique, dont les grandes tendances sont visibles sur la figure 1.1, est sujette à des variations importantes touchant de multiples échelles temporelles et spatiales, qu'il est nécessaire d'appréhender précisément pour mieux connaître les transferts d'énergie associés (figure 4.1). Les échelles concernées vont de quelques jours sur quelques dizaines de kilomètres pour le signal dit à moyenne échelle à quelques années sur quelques milliers de kilomètres pour les signaux interannuels. La plus forte variabilité est présente aux basses fréquences (périodes de plus de
3 mois) et aux grandes longueurs d'onde (de plus de 2 000 km).
Les mesures T/P, dont l'échantillonnage et le bilan d'erreur particulièrement performant ont été optimisés pour suivre le signal basse fréquence, permettent de cartographier la composante variable du signal océanique. Il suffit pour cela de référencer les mesures du niveau de la mer au niveau moyen (calculé en moyennant l'ensemble des passages répétitifs acquis) et d'interpoler dans le temps et dans l'espace les résidus obtenus sous la trace du satellite. Des analyses en fréquence permettent ensuite de différencier suivant les échelles temps-espace les différents signaux incriminés. De nombreux résultats faisant l'étalage de la contribution des données T/P à l'observation du signal océanique ont été publiés (JGR 1994, 1995, lettre AVISO n° 6).
4.2. - Quand El Niño et La Niña soufflent le chaud et le froid !
L'océan est également soumis à une forte variabilité inter-annuelle (dont la fréquence est supérieure à l'année). Cette variabilité a des conséquences significatives sur les changements climatiques. Un des exemples les plus fameux de ce type de signal est le phénomène El Niño qui se déclenche de manière irrégulière tous les 2 à 7 ans dans la région du Pacifique équatorial (Doumenge, 1999 ; article de E. Pesin dans ce même numéro).
La circulation océanique dans les régions tropicales a ceci de particulier qu'elle est principalement contrainte par l'action zonale des vents, les alizés, qui soufflent d'est en ouest. Ainsi, dans la bande tropicale, les courants océaniques s'écoulent d'est en ouest au voisinage immédiat de l'équateur avec des vitesses comprises entre 10 cm/s et 30 cm/s. En réalité les alizés soufflent du sud-est vers le nord-ouest dans l'hémisphère Sud et du Nord-Est vers le Sud-Ouest dans l'hémisphère Nord. Les deux systèmes sont séparés par une zone de convergence, zone de calmes relatifs, aux alentours de 5°N. Les alizés connaissent des variations saisonnières importantes qui se traduisent par des déplacements, des affaiblissements ou des renforcements en amplitude. La circulation océanique tropicale est elle aussi soumise à une forte variabilité saisonnière en phase avec la variabilité saisonnière des vents.
Dans le Pacifique équatorial, l'action des alizés a un effet d'entraînement des masses d'eaux relativement chaudes vers la partie ouest du bassin (28°-29°C). C'est le phénomène inverse qui se produit dans la partie est où les eaux poussées par les alizés sont compensées par des remontées d'eaux froides (22°C-24°C). Il existe donc un gradient thermique important entre l'est et l'ouest du bassin, ce qui induit également, par dilatation thermique, une surélévation d'environ 50 cm du niveau de la mer à l'ouest. Cette situation "normale" connaît des variations sensibles au gré des saisons et des modifications du régime des alizés.
Certaines années, vers les mois de novembre-décembre, le changement du régime d'alizés est tel (brusque affaiblissement, poussées de vents d'ouest à l'ouest du bassin) qu'il produit un profond déséquilibre du système couplé océan-atmosphère en place. L'énorme masse d'eau chaude située à l'ouest se met en mouvement vers la partie centrale et est du bassin, accompagnée par de fortes perturbations atmosphériques. C'est ce que l'on appelle le phénomène El Niño (figure 4.3). Cet événement a parfois des conséquences climatiques, humaines et économiques considérables.
Les fluctuations observées en milieu tropical sont surtout régies par des propagations d'ondes qui agissent comme courroie de transmission entre les parties ouest et est des bassins océaniques. Les ondes océaniques transportent de l'énergie et sont initiées principalement par l'action du vent. On en rencontre à toutes les latitudes, mais elles jouent un rôle prépondérant à l'équateur qui agit comme un "guide d'onde". Deux principaux types d'onde sont différenciés dans les tropiques, les ondes de Kelvin, qui se propagent d'ouest en est, et les ondes de Rossby. Les phénomènes El Niño se déclenchent sous l'effet d'ondes de Kelvin de très forte amplitude qui se pro-pagent vers l'est le long de l'équateur, assurant ainsi le transfert des masses d'eaux chaudes entre l'ouest et l'est du bassin. Ces ondes viennent se réfléchir sur les côtes américaines pour repartir vers l'ouest, au nord et au sud de l'équateur, sous forme d'ondes de Rossby. Typiquement, les ondes de Kelvin se propagent avec des vitesses de l'ordre de
2.5 m/s en surface alors que les ondes de Rossby se déplacent plus lentement avec des vitesses de l'ordre de 1 m/s.
L'année 1997 a marqué le début d'un événement El Niño particulièrement important, d'une intensité équivalente à celle de l'événement majeur enregistré en 1982-1983. Les cartes d'anomalies de hauteur du niveau de la mer produites tous les 10 jours à partir des mesures T/P, ont permis de suivre avec forces détails le développement de cet événement 97 (figure 4.4). Les premiers signes précurseurs apparaîssent en avril 97 avec toute une série d'ondes de Kelvin qui vont "pousser " les eaux chaudes vers l'est. La bande tropicale est alors entièrement occupée par une anomalie positive de température, équivalente à une élévation du niveau de la mer de l'ordre de 10 cm, visible sur les cartes d'altimétrie. Ce transfert d'eau chaude va s'intensifier durant les mois suivants pour atteindre son paroxysme en novembre-décembre 1997. A ce moment là, les eaux chaudes (4° à 5° au-dessus de la normale) se sont accumulées à l'Est du bassin, entraînant une élévation du niveau de la mer de plus de 20 cm, bloquant les remontées d'eaux froides qui ont lieu habituellement le long des côtes d'Amérique du Sud (le fameux "upwelling"). La thermocline (limite de séparation entre eaux chaudes et eaux froides) s'enfonce à l'est et remonte à l'ouest où les eaux froides ont remplacé les eaux chaudes, abaissant le niveau de la mer de plus de 20 cm.
Tout le système climatique est alors déréglé, du fait des transferts d'énergie considérables entre océan et atmosphère: des diminutions conséquentes des précipitations provoquent des sécheresses dans la partie ouest du bassin alors que la partie est (en particulier les côtes du Pérou et de l'Equateur), connaît un taux d'humidité au-dessus de la normale, de très fortes chutes de pluie entraînant inondations et glissements de terrain. Des cyclones dévastateurs se forment dans les zones de convection au-dessus des eaux anormalement chaudes. L'événement El Niño 1997-98, tout comme celui de 1982-83, est à l'origine de catastrophes qui ont fait de nombreuses victimes et des dégâts qui se sont chiffrés à plusieurs milliards de dollars. Ces bouleversements climatiques ont bien entendu des conséquences sur tout l'environnement et les écosystèmes terrestre et marin.
Suivant les régions, les cultures connaissent des baisses ou des augmentations de production, influant ainsi largement sur la vie économique des pays concernés. De même la production halieutique est fortement affectée par les conditions El Niño, puisque les poissons désertent la région de "l'upwelling", au large des pays d'Amérique du Sud (Equateur, Pérou, Chili) où le phytoplancton et sels nutritifs se raréfient. Incidemment les oiseaux marins qui tirent leur nourriture de la mer, subissent une mortalité importante. L'influence des événements El Niño ne se fait pas sentir uniquement à l'échelle du Pacifique tropical. En réalité c'est tout le système climatique mondial qui en subit les conséquences via des "téléconnections" qui ont lieu dans l'atmosphère. Des liens avec des perturbations climatiques touchant l'Inde, le Brésil, l'Argentine,l'Afrique et même l'Europe ont ainsi été mis en évidence (voir les articles de
S. Trawska, J.L. Ricard, S. Janicot sur ce sujet dans ce même numéro).
L'événement El Niño est parfois suivi par un épisode La Niña. Cette situation se produit lorsque les alizés remontent en puissance exagérément. L'"upwelling" du bord Est se renforce anormalement, faisant remonter les eaux froides en grande quantité et les "poussant" vers l'ouest, créant ainsi un abaissement de température des eaux équatoriales. La thermocline remonte côté est et s'enfonce côté ouest où les eaux chaudes s'accumulent contre l'Indonésie et l'Australie. Le climat est à nouveau bouleversé avec des intempéries conséquentes à l'ouest et un climat très sec au large des côtes américaines où les poissons prolifèrent à nouveau. Cet effet de bascule entre El Niño et La Niña a été observé en 1998 sur les cartes T/P (figure 4.4). C'est à partir de mars-avril 1998 que la phase El Niño a commencé à s'affaiblir réellement pour laisser progressivement la place à une phase La Niña. En juillet 98, les eaux froides ont commencé à occuper tout l'équateur. Sous l'impulsion des alizés et de "l'upwelling" renaissant, ce phénomène a pris de l'ampleur pour atteindre un maximum d'intensité en décembre 98. Loin de s'affaiblir, La Niña est restée en place avec ce même niveau d'énergie durant toute l'année 1999. Ce n'est qu'au printemps 2000 que la phase La Niña a commencé à perdre de son intensité avec le retour d'eaux relativement chaudes le long de l'équateur.
Les mécanismes qui engendrent les épisodes El Niño/La Niña sont loin d'être parfaitement compris par les scientifiques du fait de la complexité et de la multitude de facteurs qui rentrent en ligne de compte, aussi bien dans l'atmosphère que dans l'océan. De nombreux moyens sont actuellement mis en place (satellites, réseaux de mesures in situ, modèles numériques) pour arriver à une meilleure compréhension du phénomène et à terme à une meilleure prédiction. Plusieurs modèles (à la NOAA, au Centre Européen Météo de Reading) utilisent déjà les mesures altimétriques, conjointement avec les autres mesures in-situ et satellites disponibles, pour affiner et améliorer ces prévisions (cf. article de Yves Du Penhoat dans ce même numéro). Les multiples conséquences humaines, économiques, écologiques justifient pleinement l'investissement consenti pour parvenir à ce but ultime.
4.3 - L'altimètre est sensible à bien d'autres effets !
Le cycle saisonnier océanique, les épisodes El Niño/La Niña, sont parmi les nombreux signaux océaniques que l'altimétrie permet d'observer à une échelle globale. Il existe également une variabilité intra-saisonnière sur des périodes de plusieurs jours provoquée par des oscillations cohérentes sur plusieurs milliers de kilomètres qui sont la réponse directe du forçage des vents à haute fréquence. Les ondes de Rossby qui traversent les bassins océaniques sur plusieurs mois participent également à cette variabilité intra-saisonnière. Les vitesses de propagation de ces ondes estimées à partir de l'altimétrie ont d'ailleurs montré un désaccord avec la théorie en vigueur. Au fur et à mesure que les données altimétriques s'accumulent dans le temps (T/P fonctionne depuis 1992, ERS-1-ERS-2 depuis 1991), de plus en plus de signaux basses fréquences deviennent observables. C'est le cas par exemple de l'oscillation de l'Atlantique Nord qui est dominée par une période décennale, conséquence océanique d'un mouvement de bascule entre le système atmosphérique anticyclonique des Acores et le système dépressionnaire de l'Islande. Cette oscillation a une influence significative sur le climat puisqu'elle conditionne en particulier la variabilité climatique de l'hiver sur la région Nord Atlantique. De tels signaux basses fréquences existent aussi sur les autres bassins océaniques, océan Pacifique, océan Indien, océan Antarctique. Ils interagissent avec les autres modes de variabilité haute et basse fréquences ce qui rend difficile leur détection et leur compréhension. L'altimétrie est amenée à jouer un rôle essentiel dans ce domaine. La surveillance de l'évolution à long terme du niveau moyen est également un enjeu de taille pour évaluer les effets d'un réchauffement global. Les premières estimations déduites des plus de 7 années de mesures T/P donnent une élévation moyenne de l'ordre de 1-2 mm/an, cohérente avec les estimations issues des marégraphes (figure 1.2). Les barres d'erreur sur de telles estimations restent encore importantes mais elles diminueront avec l'allongement des séries altimétriques.
A l'autre bout du spectre de la variabilité océanique, dans les hautes fréquences, le signal dit méso-échelle se traduit par les fluctuations rapides des courants océaniques, la formation et le déplacement de tourbillons océaniques très énergétiques caractérisés par des échelles de 30 à 300 km et des périodes très courtes de quelques jours à 2-3 mois. Cette composante tourbillonnaire, générée par les instabilités du flux moyen et/ou des interactions avec la topographie sous-marine, joue un rôle capital dans le transport d'énergie des basses vers les hautes latitudes. La variabilité associée peut atteindre 40 cm et plus au voisinage des grands courants océaniques et quelques centimètres ailleurs. Cette dynamique océanique influe beaucoup sur l'écosystème marin, en particulier la population halieutique. Elle intéresse également de nombreux secteurs d'activité, l'aide à la navigation, le suivi des nappes polluantes, la mise en uvre des plates-formes pétrolières, le suivi des espèces pélagiques et des mammifères marins. Décrire et prévoir cette circulation méso-échelle présente un intérêt tout particulier. Des modèles d'océan s'appuyant entre autres sur l'altimétrie T/P et ERS-2 (afin de bénéficier d'un échantillonnage spatio-temporel plus dense) tournent déjà de manière opérationnelle et sont capables de fournir des prévisions à échéance de 2 semaines particulièrement fiables (figure 4.5).
De nombreux autres domaines d'investigation tirent parti des mesures altimétriques. C'est en particulier le cas des modèles de prédiction de la marée qui ont largement bénéficié de l'incorporation des données T/P. Les mesures altimétriques sont bien sûr sensibles aux variations du niveau de la mer sous l'action des marées. Les fréquences des composantes principales de la marée étant bien connues, il est possible de les discriminer du signal altimétrique. Les modèles récents de marée contraints par les mesures altimétriques ont ainsi une erreur moyenne d'environ 2 cm (au lieu de 5 cm auparavant) (figure 4.6). Ce progrès dans la connaissance des marées bénéficie d'ailleurs au système altimétrique lui-même, puisque ces mêmes modèles de marées sont utilisés si besoin pour éliminer le signal de la marée dans les mesures altimétriques. Certaines longues périodes des marées restent encore peu connues, mais l'accumulation des données altimétriques avec le temps permettra de mieux les résoudre.
Le radar altimètre mesure, outre le niveau de la mer, deux autres paramètres intéressant la météorologie marine, la vitesse du vent et la hauteur des vagues. Les précisions respectives sur ces deux mesures sont de 2 m/s pour la vitesse du vent et de 0.5 m ou 10% pour la hauteur significative des vagues (cette mesure moyenne correspond au tiers des vagues mesurées les plus hautes). Ces paramètres, disponibles en temps très peu différé (de l'ordre de 3 heures), sont intégrés dans les modèles météorologiques, améliorant ainsi sensiblement les prévisions d'état de mer, en particulier dans les régions où la densité des mesures in-situ est insuffisante. De nombreux secteurs de la vie économique touchant à l'environnement marin (navigation, pêche, plates-formes pétrolières, ouvrages côtiers, ...) sont évidemment directement intéressés par ces prévisions améliorées.
D'autres applications bénéficient grandement de l'apport des mesures altimétriques. Les très courtes échelles spatiales du géoïde marin (quelques kilomètres) sont maintenant résolues à partir de l'analyse fine des surfaces moyennes du niveau de la mer déduites des multiples séries de mesures altimétriques (GEOSAT, T/P, ERS1-2). Des études sur les glaces de mer, les grands lacs, les mers fermées, les étendues désertiques sont également menées avec succès grâce à l'altimétrie.
Les exemples précédents montrent que l'utilisation conjointe de systèmes altimétriques de la classe T/P et ERS, présente un intérêt considérable pour mieux connaître le milieu océanique et son impact sur les changements climatiques, l'environnement global et côtier. De nouveaux satellites sont déjà prêts à prendre le relais à l'horizon 2001, JASON-1 la suite du programme T/P et ENVISAT, la suite du programme ERS. Ces satellites embarqueront un altimètre bi-fréquence, un radiomètre et des systèmes de positionnement précis tels que le système DORIS. Le satellite JASON1 (CNES/NASA), qui utilisera une plate-forme mini-satellite PROTEUS, aura une masse totale d'environ 500 kg (4 fois moins que le satellite T/P) pour un niveau de performances identiques, voire meilleur que celui de T/P (cf. Lettre AVISO n° 7). Le satellite ENVISAT (ESA), beaucoup plus volumineux, embarquera en plus du système altimétrique toute une panoplie d'autres instruments qui fourniront des informations complémentaires sur les océans (en particulier température de la mer, couleur de l'eau). L'objectif est d'assurer sur le long terme une observation continue des océans.
En parallèle aux développements technologiques, de nombreuses équipes scientifiques travaillent sur l'utilisation des données altimétriques dans les modèles numériques, au travers de techniques d'assimilation appropriées. Le programme MERCATOR, soutenu par tous les organismes français impliqués dans le domaine de l'océanographie, vise à terme (d'ici 2003-2004) à décrire et à prévoir à une échelle globale, avec une résolution de quelques kilomètres, la circulation océanique depuis les couches superficielles jusqu'aux couches plus profondes. MERCATOR va participer à un effort de recherche global et accompagnera des programmes océanographiques internationaux (dont le programme GODAE) (cf. articles correspondants dans ce même numéro). Ces programmes vont devoir s'appuyer sur un système cohérent et permanent d'observation de l'océan (GOOS) incluant une composante spatiale conséquente s'appuyant sur des capteurs satellites mesurant la topographie dynamique mais aussi la température de surface de la mer, la couleur de l'eau, le champ de vent, voire la salinité de surface (cf. recueil des actes OCEANOBS99, 1999). La composante in-situ ne doit pas être négligée pour autant, c'est pourquoi un effort international se cristallise autour du programme ARGO qui prévoit le déploiement de plus de 3 000 flotteurs d'ici 2005.
A terme, une véritable océanographie opérationnelle va être mise en place, à l'instar de ce qui se fait en météorologie, pour décrire en temps quasi-réel l'océan et aider ainsi à la prévision des événements climatiques majeurs. De futurs modèles couplés océan-atmosphère seront alors capables de prédire plusieurs mois à l'avance, avec une très bonne fiabilité, des anomalies climatiques de type El Niño. Les enjeux socio-économiques sont bien sûr considérables comme cela a été mentionné par les plus hautes instances gouvernementales de nombreux pays, en particulier en 1992 à la conférence des Nations Unies de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement.
Les océans, Jean-François Minster, collection Dominos/Flammarion, n° 33, 1994
TOPEX/POSEIDON : Geophysical Evaluation, Journal of Geophysical Research, special issue, volume 99, n°C12, décembre 1994
TOPEX/POSEIDON : Scientific Results, Journal of Geophysical Research, special issue, volume 100, n°C12, Decembre 1995
TOPEX/POSEIDON : 5 years of Progress, Lettre AVISO n° 6, avril 1998
L'oscillation australe El Niño : anomalies de l'hydroclimat et conséquences, F. Doumenge, Biologia Marina Mediterranea, Vol 6, Fasc.1, 1999
Le Système d'Observation de l'océan pour le Climat, Recueil des Actes de la Conférence Internationale OCEANOBS99, volumes 1 et 2, Edition CNES, octobre 1999
L'océan sous haute surveillance, Lettre AVISO n°7, janvier 2000
Les ordres de grandeur caractéristiques des océans sont les suivants :
Dimensions :
- 360 millions de km2
- 1.37x10E19 m3 d'eau
- 70% de la surface de la Terre
- 85% de la surface de l'hémisphère Sud
Transport de masse :
On utilise une unité de débit adaptée aux ordres de grandeur des débits ayant cours à l'échelle des océans : le Sverdrup, du nom d'un météorologue et océanographe norvégien :
1 Sverdrup = 10E6 tonnes/seconde (à titre de comparaison, ce débit correspondrait pour un an à une élévation de 10 cm du niveau moyen des océans).
- Courant du Gulf Stream : 80 Sverdrup
- Courant péri-antarctique (au niveau du passage de Drake) : 130 Sverdrup
- Evaporation au-dessus des océans : 10 Sverdrup (soit l'équivalent d'une hauteur d'eau d'un mètre par an à la surface des océans)
- Flux total des fleuves et rivières : 1 Sverdrup
- Précipitations : 9 Sverdrup
Energie/Flux de chaleur :
- Transport de chaleur mesuré dans l'Atlantique au niveau du 24ième parallèle Nord : 3x10E15W
- Echange de chaleur moyen entre l'océan et l'atmosphère dans la région extérieure du Gulf Stream: refroidissement de 140 W/m~ (à comparer avec le flux solaire moyen : 350 W/m2)
- A titre indicatif, trois mois (soit une saison) de flux à 140 W/m2 provoque un refroidissement de l'eau sur une profondeur de 200 m qui se traduit par une contraction thermique de 5 cm en terme de hauteur de la mer.
Vitesses :
- Vents moyens à la surface : 7 m/s
- "Jet" du Gulf Stream : 1 à 2 m/s, soit une pente de 1 m pour 100 km
- Tourbillon : 10 cm/s, soit une pente de 10 à 30 cm pour 100 à 200 km
- Courant tropical de 50 cm/s (10°N/S), soit une pente de 10 cm pour 1 000 km
- Courant moyen : 10 cm/s, soit une pente de 50 à 70 cm pour 5 000 km
Dioxyde de carbone (CO2) :
- Concentration à l'époque actuelle : 350 parties par million (ppm) dans l'atmosphère
- Les océans constituent un réservoir de CO2 bien plus important que l'atmosphère
- Excès de production actuel de CO2 du à l'activité humaine : 7 gigatonnes/an. A titre d'exemple, si la concentration de CO2 doublait, l'accroissement de la température serait de 1 à 4°C sur 20 à 50 ans et l'élévation du niveau des mers (due à l'expansion thermique et à la fonte des glaces) serait de 10 à
50 cm en 50 ans.
Contact :
Y. MENARD
CNES - DOS/ED/AL/JT - BPi 2002
18 avenue E. Belin
31401 TOuLOUSE CEDEX 4
E-mail :[email protected]